Dans l’industrie cosmétique, les fusions-acquisitions jouent désormais un rôle moteur. Les transactions se multiplient. Les grands groupes consolident leur position avec des rachats, tandis que les indies brands cherchent des investisseurs pour soutenir leur croissance.
De nombreuses questions émergent face à cette dynamique : quels segments sont les plus porteurs ? Comment ces tendances varient-elles d’une région à une autre ? Quelles sont les futures grandes tendances ?
Autant de questions auxquelles répond le rapport de Kearney, Fusions-acquisitions dans la beauté et les soins personnels en 2025, sur lequel s’appuie cet article.
Panorama actuel du marché des fusions-acquisitions
Depuis la pandémie, les opérations de fusions-acquisitions dans le secteur de la beauté et des soins personnels ont fait preuve d’une résilience supérieure à celle observée dans d’autres industries.
En 2024, le marché a atteint un niveau record, avec environ 350 transactions réalisées, un volume inédit pour le secteur.
Si l’industrie affiche une forte capacité de rebond, c’est en grande partie grâce à deux raisons.
L’un des moteurs principaux est l’intérêt grandissant pour la santé et le bien-être, désormais étroitement liés à l’univers de la beauté. De nombreuses marques adoptent une approche in & out, combinant soins internes et externes, à l’image d’Atelier Nubio récemment racheté par Oh My Cream.
Cette évolution se traduit par une hausse de la consommation, portée notamment par les jeunes générations (Millennials, Gen Z et Gen Alpha) qui sont aussi prêts à dépenser plus que les anciennes générations. Ils considèrent les soins comme des achats plaisir, mais aussi une façon de prendre soin de soi au quotidien.
Autant de signaux positifs qui renforcent l’attractivité du secteur auprès des investisseurs.
Toutefois, la pandémie a redessiné les dynamiques du marché, faisant émerger certains segments comme les soins, tandis que d’autres, comme le maquillage, ont reculé.
Le rapport souligne l’importance des prochains 12 à 18 mois pour les investisseurs.
Avec les grandes entreprises qui cèdent des actifs pour rééquilibrer leurs portefeuilles et les fonds d’investissement qui cherchent à se défaire d’actifs détenus depuis longtemps, l’offre sur le marché devrait augmenter. Cette augmentation de l’offre sur le marché pourrait permettre d’acquérir des actifs de qualité à des valorisations intéressantes.
Évolution des transactions en 2023 et 2024
L’industrie a enregistré un nombre record de transactions en 2023 et 2024, avec une croissance particulièrement marquée en 2024 (+40%).
Les valeurs moyennes de ces transactions ont fortement chuté, passant de 400 millions d’euros en 2022 à environ 160 millions en 2023 et 2024, soit une baisse de 60%.
Cette baisse s’explique par une moindre prise de risque des investisseurs, confrontés à un accès plus limité aux financements et contraints de s’adapter à un marché incertain.
En 2023, dans un contexte de capital restreint, les investisseurs se sont tournés vers des marques plus petites et à forte croissance et cette dynamique s’est accentuée en 2024.
Ces dernières années, un réel changement s’opère, les investisseurs s’intéressent davantage aux marques indépendantes, agiles et prometteuses. Ces indies brands, souvent très connectées aux attentes des consommateurs, séduisent par leur capacité à croître rapidement et à innover, même avec peu de moyens. Leur dynamisme attire et les investisseurs misent de plus en plus sur cette énergie plutôt que sur la stabilité des grandes structures.
Rhode Beauty racheté par elf Beauty pour un milliard de dollars, reflète bien cette dynamique. Lancée il y a seulement trois ans, la marque a rapidement su capter l’attention des jeunes avec une forte présence digitale et des produits parfaitement alignés avec les tendances du moment.
Tendances phares et opportunités d’investissement ces prochaines années
Tous les segments devraient connaître une forte dynamique, avec un intérêt particulier des investisseurs pour les soins de la peau, le visage et les injectables. Le maquillage devrait également progresser, mais à un rythme plus lent, comme en témoigne la hausse du nombre d’acteurs cherchant un repreneur.
Les soins de la peau et plus particulièrement les soins du visage, vont dominer en 2025, tant en volume de transactions qu’en valorisation des actifs, avec des hausses prévues de 8% et 7% respectivement.
Déjà en forte progression, la dermo-cosmétique devrait continuer à tirer la croissance du marché cette année.
Basé sur des entretiens avec des responsables fusions-acquisitions, le rapport met en lumière plusieurs marques particulièrement convoitées pour de futurs rachats, dont Westman Atelier, Merit Beauty et Augustinus Bader.
En revanche, Drunk Elephant, qui a connu une forte baisse de résultats au premier trimestre 2025, pourrait faire l’objet d’une vente.
Côté prix, les opérations devraient se concentrer sur le prestige, le luxe et le masstige.
Les acteurs établis dans le prestige et le luxe en soins de la peau doivent désormais composer avec la montée en puissance des marques comme CeraVe, qui bousculent un marché historiquement dominé par le premium.
Avec des consommateurs qui recherchent de plus en plus des soins de la peau à forte efficacité, les marques traditionnelles doivent innover et adopter des approches plus scientifiques dans leurs offres.
Malgré une baisse du nombre de transactions aux États-Unis et en Europe, ces régions restent des hubs clés pour les fusions-acquisitions.
En comparaison, l’Asie a connu une forte croissance, allant jusqu’à dépasser les États-Unis pour la première fois depuis 2021.
Cette évolution s’explique notamment par la Corée du Sud, qui continue de séduire avec la K Beauty qui a dépassé les 10 milliards de dollars d’exportation en 2024.
L’Inde attire aussi l’attention avec les investissements d’Unilever ou L’Oréal BOLD dans des start-ups locales comme Deconstruct et Arata.
Les investissements en Chine restent stables mais se sont essentiellement concentrés sur le capital-risque.
Le volume des opérations de fusions-acquisitions devrait augmenter aux États-Unis et en Inde, tandis qu’une croissance plus modérée/lente est attendue en Europe, en Corée et au Japon.
En Chine, en raison de la conjoncture économique actuelle, le volume des transactions devrait rester stable, les investisseurs restant prudents.
Après plusieurs années marquées par de nombreuses transactions, le marché de la parfumerie continuera à être un segment moteur avec une croissance attendue de 8% en volume et en valorisation.
Cette dynamique sera portée par une premiumisation marquée. Les consommateurs privilégient des fragrances exclusives et personnalisées, qui leur permettent d’exprimer leur identité, notamment grâce au layering. Ce phénomène attire les investisseurs vers des marques de niche au storytelling puissant.
La skinification du marché capillaire avec des produits qui adoptent une approche scientifique et axée sur les résultats, gagne du terrain.
Le segment suscite donc un intérêt croissant de la part des investisseurs, avec des actifs stratégiques comme la marque Aveda du groupe Estée Lauder.
Les marques portées par des influenceurs suscitent l’intérêt des investisseurs à l’instar du rachat de Dr Barbara Sturm par Puig en 2024. Cette marque incarnée par une médecin influenceuse qui cumule près de 680 000 abonnés sur Instagram, illustre le pouvoir d’un personal branding maîtrisé.
Cependant, ces marques dépendent souvent trop de leur fondateur, ce qui peut rendre leur intégration et leur pérennité plus difficiles après un rachat.
En matière de clean beauty, les investisseurs sont aujourd’hui beaucoup plus exigeants : une transparence totale sur le sourcing des ingrédients, les emballages, ainsi que des preuves tangibles d’engagement durable. Cette exigence s’explique par l’émergence de consommateurs de plus en plus intéressés par les ingrédients naturels, durables et soucieux de l’impact environnemental de leur consommation.
Par ailleurs, les marques locales, ancrées dans des traditions régionales et valorisant des plantes ou rituels spécifiques, gagnent en popularité.
Sur un marché de plus en plus saturé et uniformisé, les investisseurs voient dans ces marques de niche une belle opportunité de croissance à plus grande échelle, comme en témoigne le rachat de Mielle Organics par Procter & Gamble en 2023.
Équilibre et stratégies dans les fusions-acquisitions en 2025
En 2025, l’équilibre entre grands groupes et fonds de capital-investissement devrait se maintenir autour de 50/50, même si leurs stratégies divergent.
Les fonds de capital-investissement misent souvent sur une stratégie nommée buy-and-build : ils rachètent une marque prometteuse, lui ajoutent progressivement d’autres entreprises complémentaires puis revendent l’ensemble à un acteur stratégique.
Les grands groupes cherchent surtout à se diversifier en élargissant leur présence géographique, leur offre de produits ou leur cible pour renforcer leur portefeuille et pour rester compétitifs.
Du côté des vendeurs, les cessions s’expliquent souvent par une volonté de se recentrer sur les marques phares et d’améliorer la rentabilité.
La création de valeur post fusions-acquisitions passera par les capacités opérationnelles, mais aussi par l’adoption de technologies innovantes telles que l’intelligence artificielle, la personnalisation avancée et une R&D orientée efficacité, durabilité et expérience client.
